Le Ministère du Travail annonçait le 25 mai dernier dans un communiqué son intention de réduire le remboursement de l’indemnité d’activité partielle versée aux salariés par les employeurs : de 100% de l’indemnité, elle passerait à 85% au 1er juin 2020, sauf « dans les secteurs faisant l’objet de restrictions législatives ou réglementaires particulières en raison de la crise sanitaire ». Cette mesure n’est pas encore actée puisqu’il faudra d’abord validation d’un projet de loi au parlement et publication d’un décret.
Le SPI a immédiatement réagi à cette annonce en envoyant, avec les autres organisations professionnelles d’employeurs de l’audiovisuel et du cinéma, des organisations syndicales et des associations d’auteurs-réalisateurs, un courrier aux ministres de l’économie et du travail afin d’obtenir le maintien du dispositif d’activité partielle en l’état pour notre secteur, en expliquant concrètement des exemples de situations où la reprise est tout simplement impossible du fait des mesures sanitaires.
Paris, le 25 mai 2020
M. Bruno LE MAIRE,
Ministre de l’Économie et des Finances
139 rue de Bercy
75012 PARIS
Monsieur le Ministre,
De toutes les mesures adoptées par le Gouvernement pour faire face à l’arrêt d’activités économiques en raison de la crise sanitaire actuelle, la plus efficace et celle qui a été le plus utilisée par les sociétés de production, grandes et petites, est le remboursement par l’État des indemnités d’activité partielle versées à nos salariés permanents et intermittents. Elle a permis une sauvegarde des emplois, particulièrement importante dans une industrie où les talents sont essentiels et doivent être conservés pour affirmer notre souveraineté culturelle.
Le Président de la République s’est engagé à ce que ce dispositif soit maintenu dans les secteurs que les mesures sanitaires toujours en cours empêchent de redémarrer. Nous tenons à vous préciser que le secteur de la production audiovisuelle et cinématographique est dans ce cas, bloqué pour plusieurs mois encore. Malgré tous les efforts que nous faisons collectivement pour créer les conditions d’une reprise rapide des tournages, que ce soit par l’adoption de préconisations sanitaires spécifiques ou par la mise en place d’un fonds d’indemnisation sous l’égide du CNC, qui doit rapidement venir pallier le refus des assureurs de prendre en charge le risque COVID-19 sur les tournages.
La reprise partielle restera, dans un premier temps, limitée pour l’essentiel aux feuilletons quotidiens ou à quelques programmes en plateau, et ce pour plusieurs raisons structurelles:
• Le temps de préparation d’un tournage : identification des sites et studios, autorisations et réservations, nécessité de réécriture de certaines scènes du scénario, agrégation progressive de l’ensemble des professionnels pour engager le déroulement harmonieux des opérations qui s’enchaînent ensuite pendant plusieurs semaines. Ce temps de préparation et la difficulté d’obtenir les autorisations de tournage dans le contexte sanitaire actuel vont conduire à un redémarrage très progressif de l’activité au cours de l’été à venir.
• La dimension internationale de notre industrie : comme vous le savez, l’internationalisation des marchés audiovisuels et cinématographiques est une tendance de fond, dans laquelle nos sociétés de production sont fortement engagées, afin de favoriser le rayonnement de la France dans le monde et de contribuer à notre croissance : nombreux sont les documentaires français à se tourner à l’international, les séries sont le plus souvent produites en vue d’une distribution mondiale, tous les longs métrages intègrent cette dimension, soit au niveau du réalisateur, soit des acteurs, soit des distributeurs appelés à les diffuser ensuite. Là-encore, nous sommes bloqués par l’interdiction des déplacements et l’impossibilité d’assurer à distance les tâches très concrètes de tournage, réalisation et même de post-production, qui impliquent des équipes internationales voire pour la plupart des films des décors situés dans plusieurs pays auxquels les restrictions sanitaires interdisent encore l’accès.
• La panne généralisée de toute la chaîne de distribution de nos productions : d’une part du fait de la fermeture des salles, d’autre part du fait de l’annulation des festivals et marchés qui permettent de vendre œuvres audiovisuelles et cinématographiques, enfin parce que l’ensemble des acheteurs, qu’il s’agisse de distributeurs ou de diffuseurs, ont de fait cessé de commander de nouveaux programmes, dans la mesure où les délais de réalisation sont soumis à de nombreuses incertitudes et que leurs propres recettes, pour les acteurs financés par la publicité, sont en chute libre.
• La fermeture d’un certain nombre de lieux de spectacle qui touche plus particulièrement la captation audiovisuelle de spectacles vivants et les divertissements culturels : en l’absence de concerts, de représentations théâtrales et chorégraphiques, comme de festivals, leur activité restera tout simplement à l’arrêt.
Dans ces conditions, une reprise significative de l’activité de la plupart des sociétés de production cinématographique et audiovisuelle n’aura pas lieu avant la fin de l’été 2020.
Nous tenons en outre tout spécialement à attirer votre attention sur le cas spécifique de certaines entreprises qui sont à l’avant-garde de nos capacités d’exportations culturelles et qui pourraient connaître une période d’inactivité plus longue encore :
o celles qui produisent des documentaires internationaux imposant des déplacements hors de nos frontières, dans les domaines animalier, social, économique, historique, ethnographique, investigation,
o celles qui produisent des films, fictions et séries à vocation internationale, réclamant l’engagement de distributeurs ou diffuseurs européens et extra-européens et la mobilisation d’équipes issues de plusieurs pays,
o celles qui se consacrent à la captation audiovisuelle de spectacles vivants et aux divertissements, si les spectacles qu’elles couvrent restent interdits pendants de longs mois.
Ainsi que nous l’avons dit, les producteurs sont aujourd’hui totalement mobilisés pour relancer notre industrie cinématographique et audiovisuelle, dans les délais les plus brefs, afin de faire cesser l’hémorragie qu’ils subissent en termes de chiffre d’affaires. Notre priorité est donc la reprise d’activité dès que possible, mais la préservation de notre capacité de rebond dépend dans un premier temps, et pour la plupart a minima jusqu’à la fin de l’été, du maintien de la mesure de remboursement aux employeurs des indemnités d’activité partielle par l’État selon le modalités actuellement en vigueur sachant que ce remboursement ne couvre pas, d’ores et déjà, les charges qui y sont associées, et que nous continuons à supporter également les frais fixes du fonctionnement de nos structures. La relance, pour être réussie, ne pourrait pas s’appuyer sur un tissu d’entreprises certes très performantes, mais qu’une période prolongée d’inactivité forcée laisserait exsangues.
Cette mesure est absolument essentielle d’une part, pour éviter les licenciements économiques d’emplois pérennes parmi les permanents des sociétés de production, d’autre part, pour permettre aux entreprises de reprendre rapidement des engagements sur l’embauche d’intermittents du spectacle, et amorcer ainsi leur reprise d’activité.
Par ailleurs, pour toutes celles qui vont pouvoir ponctuellement relancer des tournages, elles restent confrontées à des risques de déclaration d’infections COVID-19 en dépit des mesures sanitaires prises avec pour conséquence très certainement un arrêt du tournage et la nécessité de pouvoir dans ce cas bénéficier du recours au chômage partiel.
Toutes ces raisons vous permettent de mieux comprendre la demande exprimée par la FESAC, dans sa lettre ouverte du 13 mai 2020 au Président de la République, qui plaide pour un maintien du remboursement de l’activité partielle selon les modalités actuellement en vigueur, pour les entreprises du champ de la culture, pendant au moins dix-huit mois. Au moment où les plateformes internationales de diffusion en ligne tirent le plus grand bénéfice de la crise sanitaire et consolident leurs parts de marché, il y va de la survie des pans les plus dynamiques et novateurs d’une industrie de prototypes à forte valeur ajoutée, secteur qui participe autant que l’automobile ou l’aéronautique au PNB français, et très fortement à l’emploi dans notre pays. Le renforcement de notre industrie audiovisuelle et cinématographique constitue donc bien aujourd’hui un enjeu économique majeur, et la relance d’un champion national.
En vous remerciant de l’attention que vous accorderez à l’ensemble de ces éléments d’appréciation de notre situation spécifique, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, au nom des Producteurs indépendants de cinéma et d’audiovisuel et des Organisations syndicales de cette filière, l’expression de notre haute considération.
Thomas ANARGYROS, Président de l’USPA, Dominique ATTAL, Groupe 25 Images, Frédéric BRILLION, Président de l’UPC, Françoise CHAZAUD, Secrétaire générale de la FASAP FO, Nicolas COPPERMANN, Président du SPECT, Elizabeth DREVILLON, Présidente de la GARRD, Sidonie DUMAS, Présidente de l’API, Sélim FARES, Secrétaire général adjoint de l’USNA-CFTC, Christophe PAULY, Secrétaire national de la F3C CFDT, Christian GERIN, Président du SATEV, Pascal ROGARD, Directeur général de la SACD, Hervé RONY, Directeur général de la SCAM, Gilles SACUTO, Président du SPI
Copies :
Franck RIESTER, Ministre de la Culture, Muriel PENICAUD, Ministre du Travail, et Dominique BOUTONNAT, Président du CNC
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